De la soumission à l’épanouissement, de gré ou de force.
Les Innus du Lac-Saint-Jean avaient-ils une histoire avant l’arrivée des blancs?
La question semble ridicule aujourd’hui. Pourtant elle se posait bel et bien, il y a quelques siècles. Elle se posait tellement bien que nous pourrions dire que cette simple question est le point de départ du plus grand mensonge de notre courte histoire face à eux.
C’est nous qui leur avons inventé une histoire et elle est nécessairement fausse, puisque non vécue par nous. Ainsi, dès les débuts, le long processus du dépouillement culturel débuta.
Il serait impensable de faire le tour de cette question en une seule chronique. Trop de facettes, trop de sentiments et ressentiments, trop de tout.
Des centaines d’ouvrages ont été rédigés sur ce sujet unique. Il est alors préférable de choisir ses combats et de prendre cela un petit morceau à la fois, en n’oubliant pas qu’il y a un contexte global.
Nous allons nous attarder, aujourd’hui, sur deux de ces facettes évolutives: le lien entre l’attitude soumise de plusieurs représentants de notre communauté Innus d’autrefois et la réaction de ladite communauté, pour se réapproprier sa culture et son identité propre aujourd’hui.
Par qui et comment
Je vais prendre comme référence un texte très éclairant de Sébastien Billard, publié en décembre dernier, dans le Nouvel Observateur.
Pour lui, cela débute avec les conquérants Européens qui prennent les devants, en écrivant eux-mêmes, l’histoire des peuples autochtones, à leur avantage évidemment.
Source: Livre Innu, auteur: Jil Silberstein, 1998.
Source: Archives du Jardin botanique de Montréal – Collection Jacques Rousseau
Cette première base de données a servi de textes de références pour plusieurs par la suite. C’est à ce moment précis de l’histoire que, sans avoir eu la chance de répliquer, toutes les nations amérindiennes se sont vu retrancher leurs noms, prénoms, et histoire propre.
Dès lors, nous rencontrions simplement des sauvages, sans identité. Un peu plus tard, l’Église en ajouta en leur plantant des noms purement catholiques. Voilà, le travail est fait.
La soumission des chefs amérindiens de la région
Je parle de soumission, mais utiliser le terme désespoir pourrait tout aussi bien s’appliquer.
Il s’agit d’un long processus, à la logique aussi implacable que triste. Soumettre une personne, ou un peuple, pousse au désespoir, donc à une attitude parfois soumise.
Source: Livre Innu, auteur: Jil Silberstein, 1998.
Trois chefs de la région à Montréal en 1848.
Je vous présente ici un épisode parlant et pathétique, qui illustre bien mon propos.
En 1848, trois chefs Innus de la région, Tumas Mesituapamuskan, Jusep Kakanukus et Pasil Thishenapen, se rendent à Montréal, en compagnie de trois interprètes, dont le célèbre Peter MacLeod, métis, fondateur de Chicoutimi.
Source: Annales d’histoire de l’art canadien 21(1-2) : 40-61
Le but de la rencontre est de déposer une pétition de 106 noms, réclamant de l’aide auprès de Lord Elgin, alors gouverneur-général du Canada.
Avant d’aborder le contenu du texte de la pétition, il faut la mettre brièvement dans son contexte.
Peter Macloed
Cette pétition des chefs Innus de notre région est, en fait, la seconde pétition que recevra Lord Elgin, la première ayant été déposée, un an auparavant, par les Frères Oblats qui voulaient eux créer une réserve amérindienne à la Rivière aux Outardes dans l’est du Québec.
La pétition des Oblats de 1847 ne désirait aucunement de réserve au Lac-Saint-Jean. C’est dans ce contexte que Peter Macloed répliqua l’année suivante, afin de contrer les Oblats et obtenir un lieu protégé pour les Innus de la région.
Sans l’intervention de Peter Macloed, Mashteuiatsh n’aurait, en fait, jamais existé.
Si le contenu des réclamations des trois chefs donne déjà des indications importantes à propos de l’état lamentable du peuple Innus à ce moment, les mots utilisés et le ton suppliant et soumis de la requête est encore plus révélateur.
Suppliques éloquentes et révélatrices
Le libellé du texte annonce la suite: « À notre plus grand bourgeois, notre père« .
Puis, une série d’expressions qui parsèment le texte, allant dans le sens de la supplication/soumission.
« Mais peut-être aurions-nous obtenu ce que nous avons demandé de notre bon père… »
« Oh! mais si tu savais comme nous sommes misérables, notre bon père, et dans quelle pauvreté nous sommes! tu nous prendrais assurément en pitié… »
« Tâche donc d’écouter notre prière… »
« Conçois donc que c’est pénible de voir des étrangers s’emparer de nos terres, de voir les blancs couper le bois et y mettre le feu et détruire notre chasse qui était notre seule subsistance. »
« … on ne te blâme pas pour cela, parce que tu ne connais pas combien on souffre de la faim. »
« …nous pleurons souvent notre malheureux sort. »
« Quand on voit l’hiver venir, on tremble de peur de nous voir sans vêtements… »
« On te prie, notre bon père, de les écouter (les chefs) et d’accorder ce que l’on te demande. »
Avec quoi sont reparti ces trois chefs? Une promesse que la pétition soit présentée à la Reine, une promesse de recommandation d’acceptation au gouvernement, une médaille frappée pour chacun d’eux, trois fusils et des pavillons Union (drapeaux de l’Union) comme souvenirs.
À la réplique de l’un des chefs « Crois-tu qu’avec cela on pourra traverser la forêt et chasser pour vivre? », Lord Elgin se retira sans répondre.
Source: Bibliothèque et Archives Canada, C-000291
En 1848, au même moment que le début de la colonisation du Lac-Saint-Jean, tel était l’état d’esprit et la situation des Innus de la région décrite par leurs propres chefs.
Une histoire inventée par les Européens, une identité tronquée par l’Église, le tout dans un état de soumission/supplication.
Au final, le gouvernement trancha pour la création de deux réserves, quelques années plus tard. Les Oblats, eux, durent se résoudre à s’installer aux deux endroits.
Aujourd’hui
Nous allons sauter cent-cinquante ans. Le but n’est pas d’ignorer ces années tumultueuses, mais de voir où en est cette communauté, face à la soumission/supplication de leurs ancêtres.
Un mot a pris le devant de la scène, ces dernières années et il est plus dynamique que jamais: réappropriation.
Puisque la chronique d’aujourd’hui ne veut traiter que des aspects culturels et sociaux, tenons-nous en à ce propos.
La réappropriation de gré ou de force
Sans abandonner le combat, face aux différents paliers de gouvernements, notre communauté Innus a trouvé une voie de sortie parallèle, mais efficace: vous ne voulez pas nous écouter, alors nous allons nous imposer, de gré ou de force.
Réappropriation par la culture et l’éducation
La culture passe nécessairement par la langue. Les Québécois, dits de souche, le savent bien. Ce qui s’applique à l’un, s’applique à l’autre.
Attention, il ne s’agit pas de simplement renommer Pointe-Bleue en Mashteuiatsh, ou St-Jérôme en Métabetchouan.
Je veux parler du quotidien de la chose et de plusieurs nouveaux termes, utilisés par la communauté, pour affirmer qu’ici, nous avons une langue bien à nous et qu’il faudra bien vous y habituer.
Il y a beaucoup d’exemples bien concrets. Sur le site Internet de la communauté, nous sommes au mois de uinishkupishimu, le bureau politique est en fait le Katakuhimatsheta et pour rejoindre l’éducation et main d’œuvre? Ce sera Katshishkutamatshanuatsh kie nite kamashituepalitakanitsh atusseun.
Les prénoms et noms aussi, font partie de cette nouvelle image. Un nouveau phénomène apparaît comme de plus en plus populaire: l’utilisation du nom de famille Innu.
Nous rencontrons sur les réseaux sociaux de plus en plus de Bianca Matsheshu Perreault, Yzabelle Gagnon Manitouche, André Raphaël Gagnon, Colette Robertson Nishk…
Certains diront que l’utilisation de deux noms de famille date déjà de plusieurs années. Vrai, mais est-ce que ces personnes auraient osées s’affirmer ainsi, il n’y a pas si longtemps?
La Politique d’affirmation culturelle des Pekuakamiulnuatsh a été adoptée le 31 août 2005. Signe tangible d’un changement d’attitude face à cette réappropriation.
Réappropriation par l’économie
Deux exemples.
DPI (Développement Piekuakami Ilnuatsh) est créé à Mashteuiatsh, en 1992, sous une forme primitive, mais constitue un virage significatif vers une vision d’affaires, en 2016. Elle est aujourd’hui une société en commandite.
Sa mission: l’amélioration de l’économie et de l’emploi au sein de la communauté, par le partenariat, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur.
Les revenus, générés depuis 2004, par les projets de DPI, sont de 226 millions de dollars. Nous sommes loin de la soumission et supplication.
Source: Courtoisie Alexandre Gauthier
Autre exemple qui lui passe par l’art.
La boutique Authentique Origine, de La Baie. Ouverte en 2016, elle a pour mission de promouvoir l’art et l’artisanat Amérindiens, Métis et Inuit du Québec.
Actuellement, plus de vingt artisans amérindiens vendent leurs produits dans cette boutique et l’entreprise souscrit à l’art équitable, c’est-à-dire que l’artisan reçoit une juste part du profit de la vente.
L’objectif de la boutique est de parvenir à représenter toutes les nations amérindiennes du Québec. Le plus grand défi? La concurrence des imitations à bas prix provenant de la Chine et l’Indonésie.
Cette boutique ne cède toutefois pas à la tentation du rabais. Elle fait même parfois monter le prix d’un produit, à l’artisan, qui sous-estime son travail, dans le but de lui assurer un revenu décent.
Source: Courtoisie Bianca Matsheshu Perreault
Comme le dit l’adage, dans un petit village, si tu veux qu’il se passe quelque chose, il faut que tu l’organises toi-même.
Reprendre ce qui a été à soi
Tout ne se fera pas en quelques années. Il reste sans aucun doute des échecs et des frustrations à venir. Toutefois cette réappropriation par la culture et l’économie commence à porter ses fruits.
C’est la théorie du Plus jamais. Je ne suis pas devin, mais je crois que, plus jamais, ce peuple ne va laisser un autre peuple écrire son histoire à sa place.
Plus jamais il ne va, non plus, se présenter en suppliant. Si le gré ne nous satisfait pas, c’est de force que nous devrons prendre acte.
La rencontre de 1848, entre Lord Elgin et les chefs Innus, représente un moment important pour la région.
Si, de nos jours, nous ne pourrions imaginer le Lac-Saint-Jean, sans cette communauté, il faut garder en mémoire que, sans l’initiative du métis Macloed, nous serions dans un monde sans eux à proximité.
Macloed voulait protéger le peuple dont il portait les gènes, pour éviter une disparition pure et simple. Il partait d’une bonne intention.
Ce que les générations suivantes ont fait de ces réserves est une toute autre histoire…
Christian Tremblay, chroniqueur historique et administrateur de la page Facebook Lac-Saint-Jean histoire et découvertes historiques
https://www.facebook.com/histoirelacstjean/
Les Innus du Lac-Saint-Jean en 1848 : Une rencontre méconnue et historique
