La semaine dernière, nous avons exploré l’histoire de la fondation du couvent des Ursulines. Nous nous étions quitté juste après le début de la première année de classe. Si les années subséquentes furent loin d’être tranquilles et sans histoires à raconter, l’an 1897 marquera à jamais l’institution et toute la région.
Mais avant, un petit retour en arrière.
1882-1897
Malgré les nombreuses difficultés relatées la semaine dernière, les choses évoluent rapidement dans le petit couvent de Roberval. Au fil des décès et événements heureux, la communauté s’implante et prend racine. Pendant que les finissantes obtiennent des diplômes, il devient de plus en plus difficile de simplement vivre correctement dans le premier bâtiment. Mère Saint-Raphaël, la supérieure fondatrice, n’a encore comme table de chevet qu’une caisse de bois tournée sur un côté, on s’enfume à cause des tuyaux de poêles qui ont des trous et l’eau est toujours inaccessible.
À titre d’exemple, en 1885, deux professes doivent prononcer leurs voeux dans la minuscule chapelle du couvent. La coutume veut que pendant cette cérémonie très importante pour elles, elles se prosternent, face contre le sol. Mais voilà, il va y avoir trop de monde et cette procédure obligatoire sera impossible. Que faire alors? On décide de chauffer le poêle de la chapelle au maximum pendant la nuit précédente et de fermer les portes. Plus tard dans la journée, lorsque le poêle a été manipulable, on se dépêche de le sortir de là pour faire de la place et de refermer les portes en espérant qu’il fera encore assez chaud pour la cérémonie!
Oui à la débrouillardise, mais il vient un moment où toutes ces pirouettes devenaient ridicules.
Toujours en 1885, un événement triste met encore plus en lumière la situation. Soeurs Saint-Alexandre, l’une des fondatrices de 1882, tombe malade. Atteinte de tuberculose, elle vivra ses trois premières années difficiles à Roberval dans un couvent froid, enfumé et aux privations multiples. La Maison-Mère de Québec veut la ramener, mais la jeune religieuse refuse, mentionnant qu’elle veut « mourir missionnaire à Roberval ». (1)
Sur son lit de mort, le couvent ne peut rien lui offrir de mieux qu’un dortoir commun. Le jour, à ses derniers moments, elle est couchée entre la salle de musique et la cuisine…
Le nouveau couvent
Une nouvelle bâtisse n’est plus un luxe mais, une nécessité absolue. En 1887, le projet démarre, et la construction de ce qui sera appelé la maison de pierre , débute. Entre-temps, l’année 1888 marque l’arrivée du train dans la région. Ceci rendra les communications entre le couvent de Roberval et la Maison-Mère de Québec plus facile. Ça non plus, ce n’était pas un luxe.
Ce nouveau couvent, sur quatre étages et faisant 116 pieds sur 44, sera terminé en 1890. On garde l’ancien couvent pour enseigner et loger des élèves à l’automne et au printemps, puisque le chauffage y est toujours aussi compliqué.
Une nouvelle ère débute. Le programme éducatif des Mères se raffine, en axant de plus en plus sur la culture de la terre, grâce à l’achat de terrain. Le nouveau couvent tourne déjà à pleine capacité, de nouvelles recrues viennent se joindre à la communauté, dont plusieurs anciennes élèves.
Tout n’est pas parfait, mais les choses progressent à bon rythme. La nouvelle école ménagère fait son travail. En 1893, cette école participera même à l’Exposition de Chicago! C’est ainsi que se retrouvèrent à Chicago, lors de cette exposition, plusieurs oeuvres de nos arrière-grand-mères. Dont une pièce de laine et coton de Marie Villeuneuve, 13 ans, une autre d’Anna-Marie Fortin, une couverture d’Élise Gosselin, 10 ans, un tapis à carreaux d’Éveline Bilodeau, des serviettes de Laura Bouchard, 11 ans, etc. (1)
Oui, vraiment, tout allait bien…
Source: Société historique du Saguenay, P002,S7,P05699-04
La tragédie
6 Janvier 1897, très tôt le matin. Nous n’avons pas de bulletin météo de cette nuit-là, mais il serait logique de penser qu’il fait un froid de canard dehors. Le couvent tourne au ralenti, puisque toutes les élèves sont encore dans leurs familles pour le congé de Noël et de la nouvelle année. Enfin, presque toutes. Les Dames Ursulines hébergent en permanence quatre orphelines, dont les soeurs Connolly.
Outre ces orphelines, il y a le chapelain aumônier des Mères, Thomas-Victor Marcoux, et vingt-huit religieuses, dont une nouvelle, soeur Marie-du-bon-Secours, qui vient d’entrer en profession quelques jours avant, le 21 décembre.
La chapelle est encore décorée de la crèche et autres ornements des célébrations liturgiques. Levées à 4h, les religieuses, après une première courte célébration, retournent dans leur cellule ou vaquent à d’autres occupations en attendant la première messe.
À 5h et demi, deux sacristines sont encore à la chapelle en train de préparer la célébration à venir. L’une d’elles allume des lampions autour de la crèche. C’est à ce moment que celle-ci constate, horrifiée, que le feu court déjà aux draperies. Une première tentative pour éteindre le brasier s’avère inutile. Le feu entoure déjà la crèche et les lampions, alimentés par de l’huile, sont autant de facilitateurs. En quelques secondes, des fenêtres se mettent à éclater sous la chaleur. Le vent de janvier s’engouffre dans la chapelle et l’incendie se répand. Déjà, il n’était plus sous contrôle, et il ne le sera jamais.
C’est Mère Saint-François-de-Paule qui ira en vitesse à la cloche pour appeler des secours. Par la suite, elle donne ce travail à une autre et monte tous les étages pour se rendre sous le toit, où est situé le dortoir des élèves. Elle alerte mère Marie-de-la-Providence sur son passage. Toutes les deux réveillent les quatre orphelines et ordonnent de descendre par l’escalier extérieur. Les deux religieuses suivent les enfants, mais trop loin derrière.
L’aumônier Marcoux, alerté, enfonce une porte à grillage du cloître, ordonne aux religieuses présentes de fuir, se saisit d’un extincteur et arrose le feu. Très vite, il constate que son effort est futile. Il abandonne, préférant sans doute s’assurer de la fuite des autres.
Source: Société historique du Saguenay, P002,S7,P05554-02
Cette décision a été la bonne, car sur son chemin, il croise des religieuses qui tentent de revenir sur leurs pas pour sauver des papiers ou autres effets. D’un ton ferme, il ordonne à celles-ci de déguerpir. L’aumônier fait une tentative pour trouver soeur Saint-François-de-Paule, qu’il a vu revenir. Mais là encore, l’intensité du feu le fait reculer. Il doit encore refouler deux autres religieuses qui tentent de sauver des choses, dont soeur Saint-Louis et soeur Saint-Antoine-de-Padoue. Celles-ci s’engouffrent néanmoins dans le feu à la recherche de soeur Saint-François-de-Paule. On ne les reverra plus.
Tant qu’à soeur Saint-François-de-Paule et soeur Marie-de-la-Providence, elles sont mortes asphyxiées dans l’escalier alors qu’elles sauvaient les petites orphelines.
Une autre action de l’aumônier Marcoux: il sauva peut-être la vie de Mère du-Saint-Rosaire qui, paniquée, avait déjà lancé ses lunettes et s’apprêtait à sauter du troisième étage.
Source: Coll. privée Christian Tremblay
De l’extérieur
À 5h et demie un matin du 6 janvier, il fait encore noir dehors. Même si plusieurs sont debout, Roberval n’est pas encore réveillé. Entendre la cloche du couvent à cette heure n’annonce rien de bon, encore plus si elle est aussi insistante. De partout, les gens commencent à arriver. Ils ne peuvent que constater l’ampleur de ce qui est en train de se jouer.
Des gens de l’anse arrivent, attirés par la lueur orangée du ciel. À Chambord, des parents de religieuses arrivent par le lac gelé. Pour eux, l’angoisse est à son comble.
En 1897, il n’y a pas de pompe à eau à Roberval. Par-dessus le marché, ce matin-là, la pression quasi inexistante du système d’aqueduc empêche de remplir la moindre chaudière. La seule chose à faire est de sauver des vies et s’éloigner de là.
L’école ménagère, qui en fait est l’ancien couvent, n’échappera pas au désastre.
Dans la panique et la confusion que nous pouvons bien imaginer, les religieuses tentent de se retrouver, et de se compter, mais peu importe la façon, il en manque toujours.
Source: Inconnue
Mère Saint-Raphaël, mesurant à peine ce qui s’en vient, demande à Jean-Baptiste Parent, celui qui leur avait vendu la première maison pour la convertir en couvent, de tenter de retrouver ses soeurs manquantes. Parent, connaissant déjà la réponse, n’ose refuser, et part à la recherche des absentes. Selon une lettre datant de février 1897 racontant les détails de l’événement, Parent n’osa pas prendre la responsabilité d’annoncer la nouvelle aux Dames Ursulines. Il n’en avait pas le courage, tout simplement.
C’est le curé Lizotte qui, « la voix brisée de larmes » (2), annonça la nouvelle à la foule encore présente.
Sept Mères Ursulines ne reviendraient plus jamais.
Source: Source: Société historique du Saguenay, P2-S7-P02285-2
Les victimes
Élise Gosselin, 49 ans (Mère Saint-François-de-Paule), de Saint-Jean-Chrysostôme. Après avoir sauvé les quatre élèves, elle retourna à l’intérieur pour prendre des livres de comptes. Elle suffoqua dans les escaliers.
Laure Hudon, 33 ans (Mère Sainte-Anne), d’Hébertville. Elle mouru en voulant sauver les archives du couvent. Laure Hudon a été l’une des premières pensionnaires du couvent.
Corinthe Garneau, 37 ans (Mère Sainte-Ursule), de Chicoutimi. Elle décéda après être retournée à sa cellule malgré les avertissements d’une autre soeur.
Emma Létourneau, 31 ans, (Mère Marie-de-la-Providence), de Montmagny. Enseignate de musique et peinture. Elle décéda étouffée par la fumée dans les escaliers après avoir aidé à sauver les orphelines présentes au dortoir situé au tout dernier étage, sous le toit.
Rose-de-Lima Gosselin, 24 ans, (Mère Saint-Louis), de Saint-Jean-Chrysostôme. Elle était la nièce d’Élise Gosselin. Elle décéda en tentant d’aller sauver sa tante, Mère Saint-François-de-Paule.
Catherine Bouillé, 22 ans, (Mère Saint-Antoine-de-Padoue). Elle était novice. Elle décéda en allant à la recherche de Rose-de-Lima Gosselin.
Marie-Louise Girard, 43 ans, (Mère Saint-Dominique), de Chicoutimi. Première professe du couvent des Ursulines de Roberval.
Source: Coll. privée Christian Tremblay
Désolation et résignation
De la fenêtre de la maison du domestique où quelques soeurs sont réfugiées, Mère Saint-Raphaël regarde son oeuvre en ruine, et pleure la perte de sept de ses comparses de vie. Elle demande à se rendre au presbytère dans un premier temps, puis, à 9h, à peine trois heures après le début de l’incendie, l’aumônier Marcoux officie une messe pour elles à l’église de la paroisse.
Mère Saint-Raphaël prononcera un acte d’acceptation et de volonté de Dieu.
Après la fin de l’incendie, on part à la recherche des cadavres. Il n’y a plus rien. On ramene tout ce qui reste dans un seul cercueil, pêle-mêle.
La suite
Après une telle perte, et l’anéantissement de tant de sacrifices, personne n’aurait reproché à ces Mères Ursulines d’abandonner et de rentrer dans le confort certain de la Maison-Mère de Québec. C’est pourtant justement dans ce drame qu’elles trouvèrent la force de continuer, malgré tout.
Dans un premier temps, les religieuses se dispersèrent en trois groupes dans des familles du village. Déjà, les promesses de dons, subventions et autres arrivèrent de partout.
Source: journal Le Progrès du Saguenay
Dès le 21 janvier, elles purent se retrouver à l’hôtel Du Tremblay. Après ces retrouvailles émotives, il faut se mettre à la tâche. L’objectif: recommencer à donner des cours deux semaines plus tard!
Évidemment, il n’y a plus de couvent. On utilisera ce qui reste des murs pour construire le nouveau.
En attendant, l’hôtel Du Tremblay est transformé en couvent temporaire! On abat des murs, aménage un dortoir, etc.
Pour l’étude des externes, Mme Eugène Roy, de qui nous avons déjà parlé ici lors de l’histoire de la fondation du village de Bienheureuse-Jeanne-d’Arc au nord du Lac-Saint-Jean, prête sa maison en entier pour donner des cours.
Source: inconnue
Un système de navette est organisé pour le transport des élèves entre les différents lieux, que ce soit pour dormir, les études, les cours. Aussi, certaines parties du terrain du couvent qui est déjà en reconstruction peuvent déjà servir. C’est dans un ballet de charrettes que l’institution parvient à continuer à enseigner.
Encore une fois, beaucoup de privations, mais la cause passe avant ce genre de choses.
La reconstruction du couvent
Pour le couvent, on réutilise ce qui peut l’être. Toutefois, l’année scolaire se termine deux semaines plus tôt, car les touristes arrivent à l’hôtel Du Tremblay. Ne voulant pas en plus faire perdre de l’argent à ce propriétaire plus que généreux, les religieuses demandent que l’on concentre ses efforts à la reconstruction de l’école ménagère, afin qu’elles puissent y déménager au plus vite!
Source: Société historique du Saguenay, P002,S7,P07712-01
Moins de dix mois après le terrible incendie qui coûta la vie à sept de leurs compagnes, les Dames Ursulines redéménageront, une autre fois, dans leur couvent tout neuf.
Le reste appartient à l’histoire…
L’incendie de 1897
Selon toute vraisemblance, tous les décès de 1897 étaient évitables. Par zèle ou piétée, beaucoup trop de vies s’arrêtèrent. Difficile de juger, cent vingt plus tard. Si, relater les faits de cet événement est important en soi, il est également primordial de souligner la persévérance de toutes ces religieuses qui, malgré cette tragédie terrible, ont relevé la tête et continué leurs oeuvres.
Source: Coll. privée Christian Tremblay
Encore aujourd’hui, c’est par plusieurs centaines que des anciennes élèves du couvent des Ursulines liront cette chronique. Qu’on le veuille ou non, et consciemment ou pas, toutes ces personnes portent en elles une petite partie de l’héritage de Mère Saint-Raphaël et ses soeurs.
Mme Malvina Gagné, ou Mère Saint-Raphaël, décéda le 29 décembre 1920 à Roberval.
Site Internet Saguenay-Lac-Saint-Jean histoire et découvertes historiques:
https://slsjhistoire.com/
Christian Tremblay, chroniqueur historique
1: Livre Les pionnières, Irène-Marie Fortin
2: Livre histoire de Roberval, Rossel Vien
Quelle belle histoire, passionnante du début à la fin. Merci
Quelle belle histoire, passionnante du début à la fin. Merci
J’ai adorer lire cette histoire de Roberval ,ce n’était pas facile à l’epoque.Mon fils demeure à Roberval depuis maintenant 23ans.
Merci pour le récit de la tragédie et l’histoire des Ursulines de Roberval. C’est toujours intéressant d’apprendre le passé, pour comprendre le présent. Par zèle ou piété, j’imagine que les religieuses sont mortes par la nature de ce qu’elles étaient. Des personnes qui ont choisi de mettre leur vie au service des autres. La religion nous enseignait de donner sa vie pour sauver les autres. Les familles espéraient une vocation religieuse parmi leurs enfants. Dans ce temps-là il fallait être généreux, ne pas penser à soi, mais aux autres d’abord. Le pire péché serait l’égoïsme et l’envie, il fallait être content pour l’autre. L’orgueil, parler de soi, était de la vantardise. Je comprends très bien le dévouement des religieuses, d’avoir voulu sauver des compagnes et des documents officiels. Cette générosité vient aussi de leur dévotion, le don de leur vie entière pour aider les autres. Et toute la population vivait selon ces principes. Toute personne déviant du droit chemin se ferait dire par les parents, voisins ou inconnus : « tu fais là un péché ». Dans ce temps-là, tout le monde l’aurait fait, donner leur vie pour sauver des étrangers des flammes. Ce n’est pas le zèle ou la piété, c’est les deux.
Merci pour le récit de la tragédie et l’histoire des Ursulines de Roberval. C’est toujours intéressant d’apprendre le passé, pour comprendre le présent. Par zèle ou piété, j’imagine que les religieuses sont mortes par la nature de ce qu’elles étaient. Des personnes qui ont choisi de mettre leur vie au service des autres. La religion nous enseignait de donner sa vie pour sauver les autres. Les familles espéraient une vocation religieuse parmi leurs enfants. Dans ce temps-là il fallait être généreux, ne pas penser à soi, mais aux autres d’abord. Le pire péché serait l’égoïsme et l’envie, il fallait être content pour l’autre. L’orgueil, parler de soi, était de la vantardise. Je comprends très bien le dévouement des religieuses, d’avoir voulu sauver des compagnes et des documents officiels. Cette générosité vient aussi de leur dévotion, le don de leur vie entière pour aider les autres. Et toute la population vivait selon ces principes. Toute personne déviant du droit chemin se ferait dire par les parents, voisins ou inconnus : « tu fais là un péché ». Dans ce temps-là, tout le monde l’aurait fait, donner leur vie pour sauver des étrangers des flammes. Ce n’est pas le zèle ou la piété, c’est les deux.
Merci vraiment intéressant!!!
Faut continuer à écrire notre histoire et à la raconter.
Merci vraiment intéressant!!!
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